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après avoir vu, disait-il, beaucoup de choses curieuses et de pays extraordinaires, il se plaisait à la vue des belles choses et à l’étude des pays véritablement intéressants par leur civilisation.

Sans être très-éclairé dans les arts, il y portait un sentiment assez sûr, et en toutes choses il avait des notions saines comme ses instincts. Son langage en français se ressentait de sa timidité, au point d’être presque inintelligible et risiblement incorrect au début d’un dialogue ; mais, lorsqu’il se sentait à l’aise, on reconnaissait qu’il savait la langue, et qu’il ne lui manquait qu’une plus longue pratique ou plus de confiance pour la parler très-bien.

Laurent avait étudié cet homme avec beaucoup de trouble et de curiosité au commencement. Lorsqu’il lui fut démontré jusqu’à l’évidence qu’il n’était pas l’amant de mademoiselle Jacques, il l’apprécia et se prit pour lui d’une sorte d’amitié qui ressemblait de loin, il est vrai, à celle qu’il éprouvait pour Thérèse. Palmer était un philosophe tolérant, assez rigide pour lui-même et très-charitable pour les autres. Par les idées sinon par le caractère, il ressemblait à Thérèse, et se trouvait presque toujours d’accord avec elle sur tous les points. Par moments encore, Laurent se sentait jaloux de ce qu’il appelait musicalement leur imperturbable unisson, et, comme ce n’était plus qu’une jalousie intellectuelle, il n’osait s’en plaindre à Thérèse.

— Votre définition ne vaut rien, disait-elle. Palmer est trop calme et trop parfait pour moi. J’ai un peu plus de feu, et je chante un peu plus haut que lui. Je suis, relativement à lui, la note élevée de la tierce majeure.

— Alors, moi, je ne suis qu’une fausse note, reprenait Laurent.

— Non, disait Thérèse, avec vous je me modifie et descends à former la tierce mineure.

— C’est qu’alors avec moi vous baissez d’un demi-ton ?

— Et je me trouve d’un demi-intervalle plus rapprochée de vous que de Palmer.





III


Un jour, à la demande de Palmer, Laurent se rendit à l’hôtel Meurice, où demeurait celui-ci, pour s’assurer que le portrait était convenablement encadré et emballé. On posa le couvercle devant eux, et Palmer y écrivit lui-même avec un pinceau le nom et l’adresse de sa mère ; puis, au moment où les commissionnaires enlevaient la caisse pour la faire partir, Palmer serra la main de l’artiste en lui disant :

— Je vous dois un grand plaisir que va avoir ma bonne mère, et je vous remercie encore. À présent, voulez-vous me permettre de causer avec vous ? J’ai quelque chose à vous dire.

Ils passèrent dans un salon où Laurent vit plusieurs malles.

— Je pars demain pour l’Italie, lui dit l’Américain en lui offrant d’excellents cigares et une bougie, bien qu’il ne fumât pas lui-même, et je ne veux pas vous quitter sans vous entretenir d’une chose délicate, tellement délicate, que, si vous m’interrompez, je ne saurai plus trouver les mots convenables pour la dire en français.

— Je vous jure d’être muet comme la tombe, dit en souriant Laurent, étonné et assez inquiet de ce préambule.

Palmer reprit :

— Vous aimez mademoiselle Jacques, et je crois qu’elle vous aime. Peut-être êtes-vous son amant ; si vous ne l’êtes pas, il est certain pour moi que vous le deviendrez. Oh ! vous m’avez promis de ne rien dire. Ne dites rien, je ne vous demande rien. Je vous crois digne de l’honneur que je vous attribue ; mais je crains que vous ne connaissiez pas assez Thérèse, et que vous ne sachiez pas assez que, si votre amour est une gloire pour elle, le sien en est une égale pour vous. Je crains cela à cause des questions que vous m’avez faites sur elle, et de certains propos que l’on a tenus, devant nous deux, sur son compte, et dont je vous ai vu plus ému que moi. C’est la preuve que vous ne savez rien ; moi qui sais tout, je veux tout vous dire, afin que votre attachement pour mademoiselle Jacques soit fondé sur l’estime et le respect qu’elle mérite.

— Attendez, Palmer ! s’écria Laurent, qui grillait d’entendre, mais qui fut pris d’un généreux scrupule. Est-ce avec la permission ou par l’ordre de mademoiselle Jacques que vous allez me raconter sa vie ?

— Ni l’un ni l’autre, répondit Palmer. Jamais Thérèse ne vous racontera sa vie.

— Alors taisez-vous ! Je ne veux savoir que ce qu’elle voudra que je sache.