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nom au porteur. C’était son adieu. En rentrant chez elle, elle y trouva un rosier blanc anonyme : c’était aussi l’adieu de Laurent. Tous deux partaient, tous deux restèrent. La coïncidence de ces rosiers blancs émut Laurent jusqu’aux larmes. Il courut chez Thérèse, et la trouva achevant ses paquets. Sa place était retenue dans le courrier pour six heures du soir. Celle de Laurent l’était aussi dans la même voiture. Tous deux avaient pensé revoir l’Italie l’un sans l’autre.

— Eh bien, partons ensemble ! s’écria-t-il.

— Non, je ne pars plus, répondit-elle.

— Thérèse, lui dit-il, nous aurons beau vouloir ! ce lien atroce qui nous unit ne se rompra jamais. C’est folie d’y songer encore. Mon amour a résisté à tout ce qui peut briser un sentiment, à tout ce qui peut tuer une âme. Il faut que tu m’aimes comme je suis, ou que nous mourrions ensemble. Veux-tu m’aimer ?

— Je le voudrais en vain, je ne peux plus, dit Thérèse. Je sens mon cœur épuisé : je crois qu’il est mort.

— Eh bien, veux-tu mourir ?

— Il m’est indifférent de mourir, tu le sais ; mais je ne veux ni de ta vie ni de ta mort avec moi.

— Ah ! oui, tu crois à l’éternité du moi ! Tu ne veux pas me retrouver dans l’autre vie ! Pauvre martyre, je comprends cela !

— Nous ne nous retrouverons pas, Laurent ; j’en ai la certitude. Chaque âme va vers son foyer d’attraction. Le repos m’appelle, et, toi, tu seras toujours et partout attiré par la tempête.

— C’est-à-dire que tu n’as pas mérité l’enfer, toi !

— Tu ne l’as pas mérité non plus. Tu auras un autre ciel, voilà tout !

— En ce monde, qu’est-ce qui m’attend, si tu me quittes ?

— La gloire quand tu ne chercheras plus l’amour.

Laurent devint pensif. Il répéta machinalement plusieurs fois : « La gloire ! » puis il s’agenouilla devant la cheminée en tisonnant, comme il avait coutume de faire quand il voulait être seul avec lui-même. Thérèse sortit pour décommander son départ. Elle savait bien que Laurent l’eût suivie.

Quand elle rentra, elle le trouva très-calme et très-enjoué.

— Ce monde, lui dit-il, n’est qu’une plate comédie ; mais pourquoi vouloir s’élever au-dessus de lui, puisque nous ne savons pas ce qu’il y a plus haut, et même s’il y a quelque chose ? La gloire, dont tu ris intérieurement, je le sais fort bien…

— Je ne ris pas de celle des autres…

— Qui, les autres ?

— Ceux qui y croient et qui l’aiment.

— Dieu sait si j’y crois, Thérèse, et si je ne m’en moque pas comme d’une farce !