Page:Sand - Elle et Lui.djvu/107

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Mais tu es heureuse, Thérèse, et moi aussi par conséquent ! Je te bénis de me l’avoir dit. Me voilà donc enfin délivré des remords qui me rongeaient le cœur ! Je veux marcher la tête haute, aspirer l’air à pleine poitrine et me dire que je n’ai pas souillé et gâté la vie de la meilleure des amies ? Ah ! je suis plein d’orgueil de sentir en moi cette joie généreuse, au lieu de l’affreuse jalousie qui me torturait autrefois !

« Ma chère Thérèse, mon cher Palmer, vous êtes mes deux anges gardiens. Vous m’avez porté bonheur. Grâce à vous enfin, je sens que j’étais né pour autre chose que la vie que j’ai menée. Je renais, je sens l’air du ciel descendre dans mes poumons, avides d’une pure atmosphère. Mon être se transforme. Je vais aimer !

« Oui, je vais aimer, j’aime déjà !… J’aime une belle et pure enfant qui n’en sait rien encore, et auprès de qui je trouve un plaisir mystérieux à garder le secret de mon cœur, et à paraître et à me faire aussi naïf, aussi gai, aussi enfant qu’elle-même. — Ah ! qu’ils sont beaux, ces premiers jours d’une émotion naissante ! N’y a-t-il pas quelque chose de sublime et d’effrayant dans cette idée : je vais me trahir, c’est-à-dire je vais me donner ! demain, ce soir peut-être, je ne m’appartiendrai plus ?

« Réjouis-toi, ma Thérèse, de ce dénouement de la triste et folle jeunesse de ton pauvre enfant. Dis-toi que ce renouvellement d’un être qui semblait perdu et qui, au lieu de ramper dans la fange, ouvre ses ailes comme un oiseau, est l’ouvrage de ton amour, de ta douceur, de ta patience, de ta colère, de ta rigueur, de ton pardon et de ton amitié ! Oui, il a fallu toutes les péripéties d’un drame intime où j’ai été vaincu pour m’amener à ouvrir les yeux. Je suis ton œuvre, ton fils, ton travail et ta récompense, ton martyre et ta couronne. Bénissez-moi tous les deux, mes amis, et priez pour moi, je vais aimer ! »

Tout le reste de la lettre était ainsi. En recevant cet hymne de joie et de reconnaissance, Thérèse sentit pour la première fois son propre bonheur complet et assuré. Elle tendit les deux mains à Palmer et lui dit :

— Ah ça ! où et quand nous marions-nous ?




XI


Il fut décidé que le mariage aurait lieu en Amérique. Palmer se faisait une joie suprême de présenter Thérèse à sa mère et de recevoir sous les yeux de celle-ci la bénédiction nuptiale. La mère de Thérèse ne pouvait se promettre le bonheur d’y assister, quand même la cérémonie aurait lieu en France. Elle en était dédommagée par la joie qu’elle éprouvait à voir sa fille engagée à un homme raisonnable et dévoué. Elle ne pouvait souffrir Laurent, et elle avait toujours tremblé que Thérèse ne retombât sous son joug.

L’Union faisait ses apprêts de départ. Le capitaine Lawson offrait d’emmener Palmer et sa fiancée. C’était une fête à bord, de penser qu’on ferait la traversée avec ce couple aimé. Le jeune enseigne réparait son impertinente entreprise par l’attitude la plus respectueuse et par l’estime la plus sincère pour Thérèse.

Thérèse, ayant tout préparé pour s’embarquer le 18 août, reçut une lettre de sa mère, qui la suppliait de venir d’abord à Paris, ne fût-ce que pour vingt-quatre heures. Elle devait y venir elle-même pour des affaires de famille. Qui savait quand Thérèse pourrait revenir d’Amérique ? Cette pauvre mère n’était pas heureuse par ses autres enfants, que l’exemple d’un père défiant et irrité rendait insoumis et froids envers elle. Aussi elle adorait Thérèse, qui seule avait été vraiment pour elle une fille tendre et une amie dévouée. Elle voulait la bénir et l’embrasser, peut-être pour la dernière fois, car elle se sentait vieille avant l’âge, malade et fatiguée d’une vie sans sécurité et sans expansion.

Palmer fut plus contrarié de cette lettre qu’il ne voulut l’avouer. Bien qu’il eût toujours admis avec une apparente satisfaction la certitude d’une amitié durable entre lui et Laurent, il n’avait pas cessé d’être inquiet malgré lui des sentiments qui pouvaient se réveiller dans le cœur de Thérèse lorsqu’elle le reverrait. À coup sûr, il ne s’en rendait pas compte quand il proclamait le contraire ; mais il s’en aperçut quand le canon du navire américain fit retentir les échos du golfe de la Spezzia de ses adieux répétés durant toute la journée du 18 août.

Chacune de ces explosions le faisait