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méritent guère ; mais moi, ce n’est pas ma faute si je ne peux pas plus me résoudre à partager avec un mari qu’avec un amant. Aimer une demoiselle ? l’épouser alors ? Oh ! pour le coup, Thérèse, tu ne peux pas penser à cela sans rire… ou sans trembler. Moi, enchaîné de par la loi, quand je ne peux pas seulement l’être par ma propre volonté !

« J’ai eu jadis un ami qui aimait une grisette et qui se croyait heureux. J’ai fait la cour à cette fidèle amante, et je l’ai eue pour une perruche verte que son amant ne voulait pas lui donner. Elle disait naïvement : « Dame ! c’est sa faute, à lui ; que ne me donnait-il cette perruche ! » Et, depuis ce jour-là, je me suis promis de ne jamais aimer une femme entretenue, c’est-à-dire un être qui a envie de tout ce que son amant ne lui donne pas.

« Alors, en fait de maîtresse, je ne vois plus qu’une aventurière, comme on en rencontre sur les chemins, et qui sont toutes nées princesses, mais qui ont eu des malheurs. Trop de malheurs, merci ! Je ne suis pas assez riche pour combler les abîmes de ces passés-là. — Une actrice en renom ? Cela m’a tenté souvent ; mais il faudrait que ma maîtresse renonçât au public, et c’est là un amant que je ne me sens pas la force de remplacer. Non, non, Thérèse, je ne peux pas aimer, moi ! Je demande trop, et je demande ce que je ne sais pas rendre ; donc, il faudra bien que je retourne à mon ancienne vie. J’aime mieux cela, parce que ton image ne sera jamais souillée en moi par une comparaison possible. Pourquoi ma vie ne s’arrangerait-elle pas ainsi : des femmes pour les sens et une maîtresse pour mon âme ? Il ne dépend ni de toi, ni de moi, Thérèse, que tu ne sois pas cette maîtresse, cet idéal rêvé, perdu, pleuré, et rêvé plus que jamais. Tu ne peux t’en offenser, je ne t’en dirai jamais rien. Je t’aimerai dans le secret de ma pensée sans que personne le sache, et sans qu’aucune autre femme puisse jamais dire : « Je l’ai remplacée, cette Thérèse. »

» Mon amie, il faut que tu m’accordes une faveur que tu m’as refusée pendant ces derniers jours si doux et si chers que nous avons passés ensemble : c’est de me parler de Palmer. Tu as cru que cela me ferait encore du mal. Eh bien, tu t’es trompée. Cela m’aurait tué lorsque pour la première fois je t’ai questionnée avec emportement sur son compte : j’étais encore malade et un peu fou ; mais, quand la raison m’est revenue, quand tu m’as laissé deviner le secret que tu n’étais pas forcée de me confier, j’ai senti, au milieu de ma douleur, qu’en acceptant ton bonheur je réparais toutes mes fautes. J’ai examiné attentivement votre manière d’être ensemble : j’ai vu qu’il t’aimait passionnément et qu’il me témoignait pourtant la tendresse d’un père. Cela, vois-tu, Thérèse, m’a bouleversé. Je n’avais pas l’idée de cette générosité, de cette grandeur dans l’amour. Heureux Palmer ! comme il est sûr de toi, lui ! comme il te comprend, comme il te mérite par conséquent ! Cela m’a rappelé le temps où je te disais : « Aimez Palmer, vous me ferez bien plaisir ! » Ah ! quel odieux sentiment j’avais alors dans l’âme ! Je voulais être délivré de ton amour, qui m’accablait de remords, et pourtant, si alors tu m’avais répondu : « Eh bien, je l’aime !… » je t’aurais tuée ?

« Et lui, ce bon grand cœur, il t’aimait déjà, et il n’a pas craint de se consacrer à toi au moment où peut-être tu m’aimais encore ! Moi, en pareille circonstance, je n’aurais jamais osé me risquer. J’avais une trop belle dose de cet orgueil que nous portons si fièrement, nous autres hommes du monde, et qui a été si bien inventé par les sots pour nous empêcher de vouloir conquérir le bonheur à nos risques et périls, ou de savoir seulement le ressaisir quand il nous échappe.

» Oui, je veux me confesser jusqu’au bout, ma pauvre amie. Quand je te disais : Aimez Palmer, je croyais quelquefois que tu l’aimais déjà, et c’est là ce qui achevait de m’éloigner de toi. Il y a eu, dans les derniers temps, bien des heures où j’ai été prêt à me jeter à tes pieds ; j’étais arrêté par cette idée : « Il est trop tard, elle en aime un autre. Je l’ai voulu, mais elle n’eût pas dû le vouloir. Donc, elle est indigne de moi ! »

« Voilà comme je raisonnais dans ma folie, et pourtant, j’en suis sûr à présent, si j’étais revenu à toi sincèrement, quand même tu aurais commencé à aimer Dick, tu me l’aurais sacrifié. Tu aurais recommencé ce martyre que je t’imposais. Allons, j’ai bien fait, n’est-ce pas, de m’enfuir ? Je le sentais en te quittant ! Oui, Thérèse, c’est là ce qui