Page:Sand - Dernieres pages.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Nous sommes bel et bien perdus, dit Duteil. Cela devait arriver. Le lièvre avait son idée.

— Allons donc ! répondit mon frère, se perdre aux environs de Montipouret, à une lieue de chez nous ! est-ce que c’est possible ? Marchons toujours, nous allons nous reconnaître.

Nous marchâmes deux grandes heures sans nous faire aucune idée du pays que nous parcourions.

Il est vrai que nous ne songions plus à nous orienter. Nous causions, et Duteil nous captivait par son esprit original et brillant. Il s’était mis à soutenir une drôle de thèse :

— Nous sommes ensorcelés, cela est évident, nous disait-il ; mais qu’est-ce que cela prouve ? c’est que l’homme n’est jamais sûr de lui-même, et que, par conséquent, c’est lui qui crée les choses qui lui apparaissent. Ainsi, en ce moment nous croyons être à cheval, devisant de bonne amitié à travers champs ; nous nous prenons pour des personnes raisonnables ; qui sait si nous ne rêvons pas ? Nous sommes peut-être, à cette heure, bien endormis dans nos lits, et nous nous promenons en songe dans un lieu vague que nous ne connaissons pas. C’est assez fréquent