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MICHEL LÉVY

spéciale des grands éditeurs que nous le devons. Il y aurait ingratitude à méconnaître le fait. Je me souviens du temps, encore si rapproché de nous, où nous disions aux éditeurs qui nous démontraient les résultats de l’avenir : « Oui, si vous réussissez, tout sera pour le mieux ; mais, si vous échouez, si, après une immense émission de livres, vous ne répandez pas le goût de la lecture, vous êtes perdus, et nous le sommes avec vous ! » Et je faisais cette objection à Michel Lévy entre autres, que les livres frivoles ou malsains intéressaient les masses, à l’exclusion des ouvrages utiles et consciencieux. Il me répondait avec l’intelligence pratique qu’il possédait au plus haut degré : « Possible et même probable qu’il en soit ainsi au début, c’est dans l’ordre des choses humaines ; mais songez à ceci, que les mauvaises lectures ont un bon résultat inévitable : elles rendent l’homme curieux de lire, elles lui en donnent l’habitude, et l’habitude devient un besoin. Je veux que, avant dix ans, on attende un livre avec une impatience aussi impérieuse que s’il s’agissait de dîner quand on a faim. Manger et lire, il faut créer l’union de ces deux besoins, et vous direz alors, vous autres, les artistes,