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dire. Mon cœur est comprimé dans un étau et je ne veux pas qu’il éclate. Je cherche dans la famille et dans l’étude l’aliment moral qui, seul, soutient la vieillesse ; mais, quand les spectres de l’Alsace et de la Lorraine se dressent devant moi, la nuit m’enveloppe et ma main n’écrit plus. Dirai-je à ces victimes ce que je puis me dire à moi-même, qui n’ai perdu ni mon toit, ni mes enfants : « Contentez-vous de peu, regardez la nature, vivez de l’affection de vos proches ? » Eh ! mon Dieu, ils ont tout perdu, ces malheureux qui viennent se jeter dans nos bras, et, devant leur infortune sans remède, tout bonheur domestique, tout recueillement intime, toute jouissance d’artiste nous paraissent illégitimes ; c’est comme une usurpation que notre destinée a faite sur la leur, comme une meilleure part que nous ne méritions pas, et ce pain qui nous est resté nous semble amer.

Et, pendant que ces choses se passent, pendant que des populations entières fuient la flétrissure de l’étranger et que des centaines de mille émigrants livrent leur existence au hasard, sur la terre française, l’idée monarchique travaille à nous ôter la liberté sociale et politique,