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ai dit que je savais tout. J’en sais plus que vous-même, car vous vous croyez aimé, et vous ne l’êtes pas.

ORDONIO, avec une modestie ironique

Dieu me préserve de croire…

ALVISE.

N’invoquez pas le ciel. Vous avez perdu le droit de faire un serment. Je vous dis, moi, que vous n’êtes pas aimé, car vous estimer est maintenant impossible. Une grande bonté de cœur, un rêve de jeunesse, un peu de vanité peut-être, ont troublé un instant la conscience la plus pure qui fut jamais ; mais, depuis, ces derniers temps, vous avez jeté le masque, et vous vous êtes montré trop injuste, trop cruel, trop lâche pour qu’on ne vous méprise pas au fond du cœur. (Arrêtant Ordonio, qui met la main sur son épée restée en travers sur la table.) Oh ! soyez tranquille ! je soutiendrai tout ce que j’avance ; mais je veux tout dire, et il faut bien que vous l’entendiez, c’est votre devoir et le mien.

ORDONIO, à part.

Que ces bourgeois sont pédants ! Faut-il donc tant de préambules pour se battre !

ALVISE.

Il m’importe de vous dire pourquoi, au lieu de vous châtier sur-le-champ, j’ai dissimulé à mon tour en vous faisant le même accueil qu’auparavant. Le chanoine de Sainte-Croix m’eût voulu plus sévère ; disciple de l’Évangile, il n’avait qu’un but, c’était de vous éloigner, afin d’empêcher ce qui arrive aujourd’hui. Mais, moi, je voulais lire la vérité au fond des cœurs. Je ne pouvais pas renoncer à ma vengeance par religion ; j’y aurais renoncé peut-être par amour. Si vous eussiez été aimé (si vous eussiez été digne de l’être), j’ignore ce que j’aurais fait !… je me serais éloigné,… je me serais peut-être ôté la vie… Car je sens dans mon âme une si grande pitié pour ceux qui souffrent, une telle impuissance à faire souffrir, qu’en toute chose j’aimerais mieux être la victime que le bourreau. Aussi votre conduite me met à l’aise maintenant, et je puis sans remords châtier un menteur et un mi-