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faits depuis deux mois pouvaient aboutir à une bataille heureuse ; mais nous ne nous dissimulons pas le danger. Si nous sommes frappés sur la Loire, c’est Paris abandonné à lui-même et la France entière envahie et saccagée. Nous espérons encore. L’esprit national s’est beaucoup réveillé.

Hier matin, un de mes petits-neveux que vous avez vu chez moi est parti avec d’autres enfants que vous avez vus aussi et tous les mobilisés du département. Ils étaient résolus et enthousiastes, Maurice plus mûr voit les choses plus sombres ; mais il se tient prêt aussi à marcher. Moi, je ne vis plus, je traîne ma vieillesse résignée à tout et détachée de toute espérance personnelle.

Je lis et relis votre lettre, reçue tantôt. Nous sommes bien d’accord sur les faits accomplis, sauf que je n’ai peut-être pas été assez attentive aux discours de Gambetta en juillet et à l’attitude de la gauche en présence de la guerre ; je veux repasser tout cela avec attention, car j’ai beau me condamner au silence sur le passé, il faut que la conscience soit éclairée pour être juste.

Quant à l’avenir, les faits ne prouveront pas contre le principe. Il faudrait être dignes d’une république, il faudrait le devenir. Nous sommes à une rude école pour nous déshabituer des mœurs légères de l’Empire, et, si cela s’aggravait encore ou se prolongeait, vous nous retrouveriez peut-être Français tout autrement que nous ne l’avons été. Jusqu’ici, nous ne sommes