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comme un catholique qui aspire au dédommagement, ne fût-ce que le repos éternel. Tu n’es pas plus sûr qu’un autre de ce dédommagement-là. La vie est peut-être éternelle, et par conséquent le travail éternel. S’il en est ainsi, faisons bravement notre étape. S’il en est autrement, si le MOI périt tout entier, ayons l’honneur d’avoir fait notre corvée, c’est le devoir ; car nous n’avons de devoirs évidents qu’envers nous-mêmes et nos semblables. Ce que nous détruisons en nous, nous le détruisons en eux. Notre abaissement les rabaisse, nos chutes les entraînent ; nous leur devons de rester debout pour qu’ils ne tombent pas. Le désir de la mort prochaine, comme celui d’une longue vie, est donc une faiblesse, et je ne veux pas que tu l’admettes plus longtemps comme un droit. J’ai cru l’avoir autrefois ; je croyais pourtant ce que je crois aujourd’hui ; mais je manquais de force, et, comme toi, je disais : « Je n’y peux rien. » Je me mentais à moi-même. On y peut tout. On a la force qu’on croyait ne pas avoir, quand on désire ardemment gravir, monter un échelon tous les jours, se dire : « Il faut que le Flaubert de demain soit supérieur à celui d’hier, et celui d’après-demain plus solide et plus lucide encore. » Quand tu te sentiras sur l’escalier, tu monteras très vite. Tu vas entrer peu à peu dans l’âge le plus heureux et le plus favorable de la vie : la vieillesse. C’est là que l’art se révèle dans sa douceur ; tant qu’on est jeune, il se manifeste avec angoisse. Tu préfères une phrase bien faite à toute