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portes de la liberté. Il t’a manqué d’avoir des enfants. C’est la punition de ceux qui veulent être trop indépendants ; mais cette souffrance est encore une gloire pour ceux qui se vouent à Apollon. Ne te plains donc pas d’avoir à piocher et peins-nous ton martyre ; il y a un beau livre à faire là-dessus.

Renan désespère, dis-tu ; moi, je ne crois pas cela : je crois qu’il souffre, comme tous ceux qui voient haut et loin ; mais il doit avoir des forces en proportion de sa vue. Napoléon (Jérôme) partage ses idées, il fait bien s’il les partage toutes. Il m’a écrit une très sage et bonne lettre. Il voit maintenant le salut relatif dans une république sage, et, moi, je la crois encore possible. Elle sera très bourgeoise et peu idéale, mais il faut bien commencer par le commencement. Nous autres artistes, nous n’avons point de patience. Nous voulons tout de suite l’abbaye de Thélème ; mais, avant de dire : « Fais ce que veux ! » il faudra passer par : « Fais ce que peux ! »

Je t’aime et je t’embrasse de tout mon cœur. Mes enfants grands et petits se joignent à moi.

Pas de faiblesse, allons ! Nous devons tous exemple à nos amis, à nos proches, à nos concitoyens. Et moi, crois-tu donc que je n’aie pas besoin d’aide et de soutien dans ma longue tâche, qui n’est pas finie ? N’aimes-tu plus personne, pas même ton vieux troubadour, qui toujours chante, et pleure souvent, mais qui s’en cache, comme font les chats pour mourir ?