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chartres, je me posais sur la société les questions les plus élémentaires, je n’étais pas plus avancée à dix-sept ans qu’un enfant de six ans, pas même ! grâce à Deschartres, le précepteur de mon père, qui était contradiction des pieds à la tête, grande instruction et absence de bon sens ; grâce au couvent où l’on m’avait fourrée, Dieu sait pourquoi, puisqu’on ne croyait à rien ; grâce aussi à un entourage de pure Restauration où ma grand’mère, philosophe, mais mourante, s’éteignait sans plus résister au courant monarchique.

Alors je lisais Chateaubriand et Rousseau ; je passais de l’Évangile au Contrat social. Je lisais l’histoire de la Révolution faite par des dévots, l’histoire de France faite par des philosophes, et, un beau jour, j’accordai tout cela comme une lumière faite de deux lampes, et j’ai eu des principes. Ne ris pas, des principes d’enfant très candide qui me sont restés à travers tout, à travers Lélia et l’époque romantique ; à travers l’amour et le doute, les enthousiasmes et les désenchantements. Aimer, se sacrifier, ne se reprendre que quand le sacrifice est nuisible à ceux qui en sont l’objet, et se sacrifier encore dans l’espoir de servir une cause vraie, l’amour.

Je ne parle pas ici de la passion personnelle, je parle de l’amour de la race, du sentiment étendu de l’amour de soi, de l’horreur du moi tout seul. Et cet idéal de justice dont tu parles, je ne l’ai jamais vu séparé de l’amour, puisque la première loi pour qu’une société