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midi à quatorze heures. Bref, je m’applique à un abécédaire ; ne me dévore pas.

J’ai un seul regret de Paris : c’est de n’être pas en tiers avec Tourgueneff quand tu liras ton Saint-Antoine. Pour tout le reste, Paris ne m’appelle point ; mon cœur y a des affections que je ne veux point froisser en me trouvant en désaccord avec leurs idées. Il est impossible qu’on ne se lasse pas de cet esprit de parti ou de secte qui fait qu’on n’est plus Français, ni homme, ni soi-même. On n’a pas de pays, on est d’une Église ; on fait ce que l’on blâme, pour ne pas manquer à la discipline de l’école. Moi, je ne peux pas me disputer avec ceux que j’aime, et je ne sais pas mentir ; j’aime mieux me taire. On me trouverait froide ou stupide ; autant rester chez soi.

Tu ne me parles pas de ta mère ; est-elle à Paris avec sa petite-fille ? J’espère que ton silence veut dire qu’elles vont bien. Ici, tout passe l’hiver à merveille : les enfants sont excellents et ne donnent que de la joie ; après le funèbre hiver de 70-71, on ne doit se plaindre de rien.

Peut-on vivre paisible, diras-tu, quand le genre humain est si absurde ? Je me soumets, en me disant que je suis peut-être aussi absurde que lui et qu’il est temps d’aviser à me corriger.

Je t’embrasse pour moi et pour tous les miens.