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d’en finir avec cet escamotage de notre liberté, de notre sécurité et de notre dignité de citoyens. C’est assez appartenir aux premiers venus. J’espère que nous allons avoir besoin de nous appartenir à nous-mêmes. Quelle situation va succéder à cette lutte répugnante ? Un genre directoire ? Le besoin de s’amuser, de s’enivrer, d’oublier ? Peut-être ! L’esprit français ne peut pas rester tendu sur les émotions politiques. Mais, comme nous ratons tout ce que nous voulons copier dans le passé, nous n’aurons pas même le chic des Barras ; nous serons bêtes et nos incroyables n’en feront accroire à personne.

Prenons courage cependant. Défendons-nous de mourir. Il y a encore plus de vitalité chez nous que chez les autres peuples, et j’espère que la France se relèvera avec une facilité qui les étonnera encore. Il y aura quelques mois durs à passer, quelques années plus ou moins troublées, et puis une éclosion de je ne sais quoi qui nous portera je ne sais où, mais qui sera la vie. Je parle comme si je devais vivre longtemps et j’oublie que je suis très vieille. Mais ça m’est égal. Je vivrai dans ceux qui vivront après moi. Vous autres, vous êtes jeunes, le père autant que le fils, et vous serez longtemps encore des instruments et des éléments de retour à la civilisation. En ce moment, nous traversons une île de sauvages où la tempête nous a jetés. Mais, comme Robinson, nous les verrons se manger les uns les autres, et le navire se remettra à flot sans que nous soyons mangés.