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Et puis vous avez touché là, vous avez exprimé là, avec votre incomparable magie, le sentiment qui nous prend le plus aux entrailles : vous avez incarné et réalisé « la mère ». C’est éternel comme le cœur.

Lucrèce Borgia est peut-être, dans tout votre théâtre, l’œuvre la plus puissante et la plus haute. Si Ruy Blas est par excellence le drame heureux et brillant, l’idée de Lucrèce Borgia est plus pathétique, plus saisissante et plus profondément humaine.

Ce que j’admire surtout, c’est la simplicité hardie qui, sur les robustes assises de trois situations capitales, a bâti ce grand drame. Le théâtre antique procédait avec cette largeur calme et forte.

Trois actes, trois scènes suffisent à poser, à nouer et à dénouer cette étonnante action :

La mère insultée en présence du fils ;

Le fils empoisonné par la mère ;

La mère punie et tuée par le fils ;

La superbe trilogie a dû être coulée d’un seul jet, comme un groupe de bronze. Elle l’a été, n’est-ce pas ?

Je me rappelle dans quelles conditions et dans quelles circonstances Lucrèce Borgia fut en quelque sorte improvisée, au commencement de 1833.

Le Théâtre-Français avait donné, à la fin de 1832, la première et unique représentation du Roi s’amuse. Cette représentation avait été une rude bataille et s’était continuée et achevée entre une tempête de sifflets et une tempête de bravos. Aux représentations suivantes, qu’est-ce qui allait l’emporter, des bravos