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que tu n’as pas voulu te distraire et t’amuser avec nous. Si c’était pour t’amuser ailleurs, tu serais pardonné d’avance ; mais c’est pour t’enfermer, pour te brûler le sang, et encore pour un travail que tu maudis, et que — voulant et devant le faire quand même — tu voudrais pouvoir faire à ton aise et sans t’y absorber.

Tu me dis que tu es comme ça. Il n’y a rien à dire ; mais on peut bien se désoler d’avoir pour ami qu’on adore un captif enchaîné loin de soi, et que l’on ne peut pas délivrer. C’est peut-être un peu coquet de ta part, pour te faire plaindre et aimer davantage. Moi qui ne suis pas enterrée dans la littérature, j’ai beaucoup ri et vécu dans ces jours de fête, mais en pensant toujours à toi et en parlant de toi avec l’ami du Palais-Royal, qui eût été heureux de te voir et qui t’aime et t’apprécie beaucoup. Tourguenef a été plus heureux que nous, puisqu’il a pu t’arracher à ton encrier. Je le connais très peu, lui, mais je le sais par cœur. Quel talent ! et comme c’est original et trempé ! Je trouve que les étrangers font mieux que nous. Ils ne posent pas, et nous, ou nous nous drapons, ou nous nous vautrons ; le Français n’a plus de milieu social, il n’a plus de milieu intellectuel.

Je t’en excepte, toi qui te fais une vie d’exception, et je m’en excepte à cause du fonds de bohème insouciante qui m’a été départi ; mais, moi, je ne sais pas soigner et polir, et j’aime trop la vie, je m’amuse trop à la moutarde et à tout ce qui n’est pas le dîner, pour