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DCXXXVI

À GUSTAVE FLAUBERT, À CROISSET


Nohant, 9 mai 1867.


Cher ami,

Je vas bien, je travaille, j’achève Cadio. Il fait chaud, je vis, je suis calme et triste, je ne sais guère pourquoi. Dans cette existence si unie, si tranquille et si douce que j’ai ici, je suis dans un élément qui me débilite moralement en me fortifiant au physique ; et je tombe dans des spleens de miel et de roses qui n’en sont pas moins des spleens. Il me semble que tous ceux que j’ai aimés m’oublient et que c’est justice, puisque je vis en égoïste, sans avoir rien à faire pour eux.

J’ai vécu de dévouements formidables qui m’écrasaient, qui dépassaient mes forces et que je maudissais souvent. Et il se trouve que, n’en ayant plus à exercer, je m’ennuie d’être bien. Si la race humaine allait très bien ou très mal, on se rattacherait à un intérêt général, on vivrait d’une idée, illusion ou sagesse. Mais tu vois où en sont les esprits, toi qui tempêtes avec énergie contre les trembleurs. Cela se dissipe, dis-tu ? mais c’est pour recommencer ! Qu’est-ce que c’est, qu’une société qui se paralyse au beau