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accepté la situation, et on le jouera plus tard, si ce n’est tout de suite. On dit que sa pièce est bien ; il est plein d’espoir.

J’ai dîné hier chez les Joubert, des gens riches, amis des Dumas et de Marchal. C’est le père Dumas qui a fait la cuisine, tout le dîner ; dix plats énormes, exquis ; douze couverts. On avait renvoyé les cuisiniers de la maison pour ce jour-là, afin de le laisser fonctionner sans contrôle, sans trahison et sans difficulté. Il est venu à trois heures de l’après-midi avec sa vieille bonne, et, en réalité, sans blague, il nous a fait manger comme ne mangent pas les empereurs. Il était charmant par-dessus le marché, bon enfant et drôle au possible. Il m’a beaucoup demandé de vos nouvelles et répété que Raoul de la Chastre était un chef d’œuvre.

J’ai eu la chance de vendre là cinq cents francs un petit Boucher grand comme l’ongle, dont le propriétaire demandait cent cinquante francs. Quand je lui ai porté tout à l’heure le billet de cinq cents francs, il s’est mis à pleurer comme un veau, de joie. C’est un malheureux homme que tu connais, Doligny, ancien acteur et ancien directeur de théâtre. Il est tombé dans une telle panne, qu’on allait lui vendre ses meubles demain, et il a sa femme mourante. Il a eu l’idée de m’apporter ce petit Boucher hier, et, aujourd’hui, il vient d’en recevoir le prix. On a rarement cette bonne chance de faire plaisir aux gens avec tant de facilité.