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DXCIV

À M. LOUIS ULBACH, À PARIS


Palaiseau, 27 septembre 1865.


Vos livres me sont arrivés dans un moment affreux, cher monsieur, laissez-moi plutôt dire ami. J’ai été morte, je ne sais pas si je suis vivante, bien que mon corps marche et agisse. Était-ce une bonne disposition pour vous lire ? Pourtant je viens de lire Louise Tardy, et cela me semble un chef-d’œuvre d’analyse délicate, subtile et vigoureuse à la fois ; une de ces histoires sans événements qu’on n’oublie pourtant jamais, parce qu’on croit avoir toujours connu ces âmes-là. Et quelle forme exquise, ingénieuse à définir toutes les émotions et toutes les réflexions !

Vous me traitez de maître, c’est vous qui passez maître, et, moi, je passe je ne sais quoi. Je double le cap de l’Amertume, et j’entre dans les mers inconnues de l’Isolement. N’importe ! dans la douleur ou dans le calme, je vous applaudirai toujours du cœur et des deux mains. Merci d’avoir pensé à moi ; je lirai le Parrain, bien sûr.

Cette femme de lettres que vous peignez si bien, elle est jeune, et on peut s’imaginer, au premier abord, que son état l’a blasée sur les choses de la