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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

sable de la grève. Pendant que mes enfants étaient à quelque distance, j’occupais ma promenade, comme à l’ordinaire, à ramasser des plantes. Voilà deux mois qu’à chaque individu nouveau pour mes yeux, je le place dans un livre exprès, en me disant que mon pauvre ami m’en apprendra le nom, et je recueille chaque plante en double pour lui en donner un exemplaire, comme j’avais fait dans un autre voyage. Ainsi, à chaque moment, cent fois le jour, depuis deux mois, je pense à lui et je me l’imagine herborisant comme autrefois à mes côtés. Eh bien, dans ce moment, dans cette occupation même, à laquelle mon souvenir l’associait, votre lettre m’est remise et j’apprends que je ne le reverrai plus !

Au moment de quitter Nohant, j’avais fait un grand rangement de papiers, et je crois vous avoir dit que j’avais retrouvé et relu toutes ses lettres ; c’étaient des chefs-d’œuvre d’esprit, de poésie, d’intelligence claire et de sentiment coloré de la nature. Je me disais que quand j’aurais deux mois de loisir, je ferais un triage, et qu’avec sa permission, je les publierais dans la suite de mes Mémoires.

Cette lecture m’avait fait repasser dix ans de ma vie, dont il avait enregistré les petits événements avec sa grâce et son heureuse philosophie. C’était donc comme un pressentiment d’une séparation prochaine, ce rapprochement de ma pensée avec la sienne, après des années d’une tranquille séparation de fait ; car je ne le voyais presque plus, ses habitudes et ses goûts le re-