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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND


DXXVIII

À M. EDMOND ABOUT, À PARIS


Nohant, mars 1863.


Que de talent vous avez ! Dix fois plus, à coup sûr, que l’on ne vous en reconnaît, bien qu’on vous en reconnaisse beaucoup. Pourquoi ne montez-vous pas jusqu’au génie, que vous touchez, et que vous laissez échapper à travers vos doigts. C’est parce que vous avez l’âme triste, malade peut-être. On s’est beaucoup moqué de nos désespoirs d’il y a trente ans. Vous riez, vous autres, mais bien plus tristement que nous ne pleurions. Vous voyez le monde de votre temps tel qu’il est, sans vous demander si vous ne pourriez pas le rendre moins faible en vous faisant plus fort que lui. Je suis persuadée que vous ne valez ni plus ni moins que nous ne valions, abstraction faite du progrès de l’art, qui se fait toujours et qui se fait encore pour les vieux comme pour les jeunes ; mais pourquoi ne pas vouloir nous dépasser ? À cette grande bête de désespérance que nous avions, a succédé, de par vous autres, une réaction de vie qui étreint la réalité et qui devrait vous avoir fait faire une véritable enjambée par-dessus nos têtes.

Un de vous ne voudra-t-il pas la faire, et pourquoi