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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

ne faut pas se brouiller avec ceux qui ont combattu avec nous hier et qui reviendront combattre avec nous demain, quand la réaction sur laquelle ils croient pouvoir agir les chassera du pouvoir.

Voyez-vous, je ne crois pas, moi, qu’on devienne, du jour au lendemain, un misérable et un apostat ; et pourtant notre vie, surtout dans un temps de crise comme celui-ci, est si flottante, si difficile, si troublée, qu’en nous jugeant au jour le jour, on peut aisément nous trouver en faute. Eh bien ! on n’est jamais juste envers son semblable quand on le juge ainsi sur une suite variable de faits journaliers. Il faut voir l’ensemble.

Il y a un mois, je me sentais fort montée contre M. de Lamartine, je doutais de sa loyauté, je le voyais courant à la présidence suprême. Il a pourtant compromis, perdu peut-être, sa popularité bourgeoise pour conserver sa popularité démocratique. Vous direz que c’est une vanité mieux entendue ; soit ! il a toujours eu le goût de faire le bon choix, et le plus courageux dans ce moment-ci. Aujourd’hui, il me semble bien, comme à vous, que Ledru-Rollin devrait se retirer du pouvoir, et j’ai de plus fortes raisons que vous encore pour le penser.

Mais j’attends, et je compte que le bon élan lui viendra quand il verra clairement la situation. Je le connais, il a du cœur, il a des entrailles, et, de ce qu’il ne voit pas comme nous en ce moment, il ne résulte pas qu’il ne sente pas comme nous quand la