Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 3.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

l’audace (par la force, s’ils l’avaient pu), une idée que le peuple n’a pas encore acceptée. Ils auraient établi la loi de fraternité non comme Jésus, mais comme Mahomet. Au lieu d’une religion, nous aurions eu un fanatisme. Ce n’est pas ainsi que les vraies idées font leur chemin. Au bout de trois mois d’une pareille usurpation philosophique, nous aurions été, non pas républicains, mais cosaques. Est-ce que ces chefs de secte, en supposant même qu’ils eussent eu avec eux seulement chacun dix mille hommes et que l’exaltation de leurs forces réunies eût suffi à tenir Paris contre la province pendant quelques semaines, est-ce que ces chefs de secte se seraient supportés entre eux ? Est-ce que Blanqui aurait subi Barbès ? Est-ce que Leroux aurait toléré Cabet ? Est-ce que Raspail vous aurait accepté ? Quelle bataille au sein de cette association impossible ! Vous eussiez été forcés de faire bien plus de fautes que le gouvernement provisoire, vous n’auriez pu convoquer une assemblée et vous auriez déjà l’Europe sur les bras.

La réaction ne partirait pas de la bourgeoisie, qu’il est toujours facile d’intimider quand on a le peuple avec soi : elle partirait du peuple même, qui est indépendant et fier à l’endroit de ses croyances plus qu’à celui de son existence matérielle, et qui ne veut pas qu’on violente son ignorance quand il n’a que de l’ignorance à opposer au progrès.

Puisque vous êtes seul et caché, mon pauvre enfant, je puis causer avec vous et vous ennuyer quel-