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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Mais ils n’ont pu que présenter très civilement leurs offrandes et leurs vœux ; car à peine avaient-ils enfilé le quai du Louvre, que trois colonnes de gardes nationaux armés jusqu’aux dents, fusils chargés et cartouches en poche, se placèrent sur les deux flancs de la colonne des ouvriers. Arrivé au pont des Arts, on fit encore une meilleure division. On plaça une troisième colonne de gardes nationaux et de mobiles au centre. De sorte que cinq colonnes marchaient de front : trois colonnes bourgeoises armées au centre et sur les côtés, deux colonnes d’ouvriers désarmés, à droite et à gauche de la colonne du centre ; puis, dans les intervalles, promenades de gardes nationaux à cheval, laids et bêtes comme de coutume.

C’était un beau et triste spectacle que ce peuple marchant, fier et mécontent, au milieu de toutes ces baïonnettes. Les baïonnettes criaient et beuglaient : Vive la République ! Vive le gouvernement provisoire ! Vive Lamartine ! Les ouvriers répondaient : Vive la bonne République ! Vive l’égalité ! Vive la vraie République du Christ !

La foule couvrait les trottoirs et les parapets. J’étais avec Rochery, et il n’y avait pas moyen de marcher ailleurs qu’avec la colonne des ouvriers, toujours bonne, polie et fraternelle. Toutes les cinq minutes, on faisait faire un temps d’arrêt aux ouvriers, et la garde nationale avançait de plusieurs pelotons, afin de mettre un intervalle sur la place de l’Hôtel-de-Ville entre chaque colonne d’ouvriers et même entre