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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

choses dans ces Lieds, et je vois que la vie réelle, à laquelle il faut bien que, riche ou pauvre, on donne la meilleure partie de son temps, n’éteint pas en vous le feu sacré. Si la poésie ne fait pas venir le pain à la maison, du moins elle y conserve la vie de l’âme, et cela, joint aux tendres affections du cœur et de la famille, est encore un grand présent du bon Dieu.

J’oublie de vous parler de Molière. — Non, les tracasseries de la censure n’ont été que vaines menaces. Il n’y avait rien dans la pièce à quoi le mauvais vouloir pût se prendre. Je vous l’enverrai en quatre actes, comme elle a été jouée, et en cinq actes, comme je l’avais faite. Vous y trouverez bien de l’impartialité historique. Vous verrez seulement une scène où, après que divers personnages ont bu à la santé du roi et de la reine, des princes de la Fronde ; un chasseur, à ses chiens ; une gardeuse d’oies, à ses oies, Molière boit à la santé du peuple. Voilà le mot que la censure voulait absolument ôter. J’ai tenu bon ; je les ai défiés d’interdire la pièce. Je les ai priés de le faire, leur disant que jamais plus belle occasion ne se présenterait pour moi de proclamer le jugement et les vertus de la censure. Ils ont cédé, et le mot est resté. Ils sont très bêtes, ces gens-là ! si bêtes, qu’on est forcé d’en avoir pitié !

Le public des premières représentations a très bien accueilli ce Molière. Mais je dois dire, entre nous, que le public des boulevards, ce public à dix sous qui doit être le peuple, et à qui j’ai sacrifié le public bien