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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

puisque vous savez ce que cela signifie dans leur appréciation. Quant à la trahison, je vous assure qu’ils n’ont pas même espéré le faire croire. Ils ont voulu vous séparer des autres victimes pour ôter peut-être au reste de l’hécatombe le prestige qui s’attachait à votre nom.

Calmez-vous, mon frère ; vous êtes trop modeste, trop humble de croire à une atteinte possible portée à votre caractère. S’il existe dans les murs de Belle-Isle, s’il a existé dans ceux de Doullens des esprits assez malades, des cœurs assez aigris pour vous accuser (et cela même, j’en doute), soyez certain que ces hallucinations de la souffrance et de la colère n’ont pas dépassé le mur des cachots où elles sont trop expiées. Mais vous, homme fort, ne vous laissez pas amoindrir, dans le sanctuaire de votre raison supérieure, par des illusions du même genre. Ne croyez pas que la plainte amère et folle qui pourrait sortir contre vous de ces tristes murs aurait le moindre écho en France. Souvenez-vous que vous êtes notre force, à nous, et que vous seul pourriez nous l’ôter, en doutant de vous-même. Soyez tranquille, si une insulte partait de je ne sais quels bourbiers de la réaction, nous ne la laisserions pas passer, et, tout en la méprisant, nous l’écraserions. Mais cette insulte ne viendra pas, et nous ne devons même pas supposer qu’elle puisse venir ; ce n’est pas quand il s’agit de vous qu’il faut aller au-devant d’un semblant de soupçon.