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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

croyait ? Non, nulle part, j’en suis malheureusement sûre ! Il y a un temps d’arrêt. Le sentiment divin, l’instinct supérieur ne peut périr ; mais il ne fonctionne plus. Rien n’empêchera l’invasion de la réaction. Nous ne devons qu’aux divisions de ces messieurs et à leurs intrigues, qui se combattent, d’avoir encore le mot de république et le semblant d’une constitution. La coalition des rois étrangers, la discipline de leurs armées, instruments aveugles chez eux comme chez nous, l’égoïsme et l’abrutissement de leurs peuples, qui, là comme ici, laissent faire, trancheront la question entre les trois dynasties qui se disputent le trône de France.

Voilà, hélas ! que je dis ce que je ne voulais pas dire. Savez-vous que je n’ose plus écrire à mes amis, que je n’ose plus parler à ceux qui sont près de moi, dans la crainte de détruire les dernières illusions qui les soutiennent ? Je devrais ne pas écrire ; car j’ai la certitude qu’on lit toutes mes lettres ; du moins, toutes celles que je reçois ont été décachetées et portent la trace grossière de mains qui ne cherchent pas même à cacher l’empreinte de leur violation. On surprend nos espérances pour les déjouer, on surprend nos découragements pour s’en réjouir. Toutes les administrations publiques sont remplies de gens qui ont mérité les galères. On n’ose plus confier cent francs à la poste. Rien ne sert de se plaindre ; pourvu que les voleurs pensent bien, ils ont l’impunité.