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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

peler à la charité ; mille autres voix étouffent celle-là pour souffler la colère et engager le combat. Je pense que, de votre côté, vous avez écrit. S’ils ne vous écoutent pas, qui écouteront-ils ? Quant à Ledru-Rollin, je ne suis pas en relations avec lui ; je suis presque sûre qu’une lettre de moi ne lui ferait aucun effet. Il déteste trop ceux qu’il n’aime pas. Je l’aurais vu, si j’avais pu faire ce voyage. Mais croyez que tout cela n’eût pas été d’un effet sérieux sur leurs dispositions intérieures. Vous savez bien comme moi que, derrière les dissidences de convictions, il y a trop de passion personnelle, et que l’orgueil de l’homme est trop puissant pour que la parole d’une femme le guérisse et l’apaise. Vous êtes un saint, vous ; mais, eux, ils sont des hommes, ils en ont les orages ou les entraînements. Et puis je suis si découragée du fait présent, que je ne sens pas en moi la puissance de convaincre. Je vois que nous marchons à la constitutionnalité ; quelle que soit la forme qu’elle revête, elle fera encore l’engourdissement de la France pendant quelque temps. Tant mieux, peut-être ; car le peuple n’est pas mûr, et, malgré tout, il mûrit dans ce repos qui ressemble à la mort. Nous en souffrons, nous qui nous élançons vers l’avenir avec impatience. Nous sommes les victimes agitées ou résignées de cette lenteur des masses. Mais la Providence ne les presse pas : elle nous a jetés en éclaireurs pour supporter le premier feu et périr, s’il le faut, aux avant-postes. Acceptons ! L’armée vient derrière nous, lentement et sans ordre ; mais