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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

de travail, plaindre en même temps l’excès et la mauvaise direction sociale de ce travail, tel qu’on l’entend aujourd’hui, ce serait faire une œuvre grande, utile et durable. Ce serait enseigner au riche à respecter l’ouvrier, au pauvre ouvrier à se respecter lui-même.

» Il y a des états plus ou moins nobles en apparence, plus ou moins pénibles en réalité. Chacun demanderait au poète un examen approfondi, des réflexions sérieuses, un jugement particulier à la fois poétique et philosophique ; et il y aurait, avec l’unité de forme, une variété infinie dans un tel sujet. Il y a dix ans que j’y rêve. Si Béranger l’avait voulu, il aurait pu faire ces chansons-là de main de maître. C’est un sujet que j’ai conseillé à plusieurs jeunes poètes et qui les a tous effrayés, parce qu’ils n’avaient pas l’inspiration et la sympathie qu’il faut pour cela.

» Un poète prolétaire devrait l’avoir. Poncy aurait la grandeur et l’enthousiasme. Mais, pour plier son talent un peu recherché et brillanté à l’austère simplicité indispensable à ce genre de poésies, il lui faudrait travailler beaucoup, renoncer à beaucoup d’effets chatoyants, et à beaucoup d’expressions coquettes qu’il affectionne. Serait-il capable d’une si grande réforme ? Sans cette réforme pourtant, l’ouvrage dont je parle n’aurait aucune valeur, aucun charme pour le petit peuple, et, le dirai-je ? aucune nouveauté aux yeux des connaisseurs ; car il s’agirait de faire quelque chose que personne n’a jamais fait encore. Il l’a fait à sa manière (et c’était une manière admirable), pour