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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

du temps perdu, quand on n’a pas quelque but à poursuivre ensemble. Seule, je ne me suis pas senti l’autorité de vous dire que je crois plus à l’eau de la source où j’ai puisé ma vie qu’à celle où vous avez puisé de votre côté. J’ai voulu que vous vissiez ma loi vivante, et je l’avais prié d’être bien net avec vous, parce qu’une heure de cette parole claire et pleine vous montre mieux mon être que ce que je ne saurais dire moi-même. Ce n’est donc pas un interrogatoire ou un examen auquel on vous a soumis : c’est un livre qu’on a ouvert devant vous, afin que vous sachiez bien ce qui est là, et que, s’il vous répugne d’y étudier la vita nuova, vous puissiez reprendre votre liberté d’examen et refuser de vous associer à notre genre d’utopie.

Voyez bien, tâtez-vous. De mon caractère dans les relations de la vie, vous n’aurez jamais à vous plaindre ; mais, de ma manière de comprendre l’action sociale, il est possible que vous ne puissiez plus vous accommoder. Vous n’avez pas bien lu Leroux, vous n’avez pas lu les dernières pages de la Comtesse de Rudolstadt, autrement vous n’auriez pas été étonné d’entendre ce que vous avez entendu ce soir. Il ne faut pas que vous partiez pour un monde inconnu, sans vous y sentir appelé par les instincts du cœur et de l’intelligence. Repensez-y et ne faites cette campagne qu’avec le sentiment qu’elle est bonne et utile ; car il y a des politiques et des socialistes dits pratiques qui jugent Leroux un rêveur dangereux, et moi une franche bête