Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 2.djvu/233

Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Je trouve la société livrée au plus affreux désordre, et, entre toutes les iniquités que je lui vois consacrer, je regarde, en première ligne, les rapports de l’homme avec la femme établis d’une manière injuste et absurde. Je ne puis donc conseiller à personne un mariage sanctionné par une loi civile qui consacre la dépendance, l’infériorité et la nullité sociale de la femme. J’ai passé dix ans à réfléchir là-dessus, et, après m’être demandé pourquoi tous les amours de ce monde, légitimés ou non légitimés par la société, étaient tous plus ou moins malheureux, quelles que fussent les qualités et les vertus des âmes ainsi associées, je me suis convaincue de l’impossibilité radicale de ce parfait bonheur, idéal de l’amour, dans des conditions d’inégalité, d’infériorité et de dépendance d’un sexe vis-à-vis de l’autre. Que ce soit la loi, que ce soit la morale reconnue généralement, que ce soit l’opinion ou le préjugé, la femme, en se donnant à l’homme, est nécessairement ou enchaînée ou coupable.

Maintenant, vous me demandez si vous serez heureuse par l’amour et le mariage. Vous ne le serez ni par l’un ni par l’autre, j’en suis bien convaincue. Mais, si vous me demandez dans quelles conditions autres je place le bonheur de la femme, je vous répondrai que, ne pouvant refaire la société, et sachant bien qu’elle durera plus que notre courte apparition actuelle en ce monde, je la place dans un avenir auquel je crois fermement et où nous reviendrons à la vie humaine