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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

faut vous résigner, pendant quelques années encore, à choisir entre le profit et le progrès du talent. Si vous étiez malade tout à fait et dans l’impossibilité de travailler des bras, j’espère que vous seriez assez bon fils pour me le dire et ne pas rougir d’un service, si tant est qu’on puisse appeler service un moment d’aide si doux à l’ami qui peut le procurer.

Vous avez bien fait de repousser du pied l’or dont vous me parlez, si c’était de cet or de mauvais aloi que nous savons bien et qui souille le cœur et la main. Mais l’aide d’un cœur ami, c’est autre chose. J’espère que vous le comprendrez comme moi.

Adieu, mon cher Poncy. Du courage ! croyez qu’il m’en faut beaucoup pour vous sermonner comme je fais.

À vous de cœur.


J’ai encore un mot à vous dire. Ne montrez jamais mes lettres qu’à votre mère, à votre femme, ou à votre meilleur ami. C’est une sauvagerie et une manie que j’ai au plus haut degré. L’idée que je n’écris pas pour la personne seule à qui j’écris, ou pour ceux qui l’aiment complètement, me glacerait sur-le-champ le cœur et la main. Chacun a son défaut. Le mien est une misanthropie d’habitudes extérieures, quoique, au fond, je n’aie guère d’autre passion maintenant que l’amour de mes semblables ; mais ma personnalité n’a que faire dans les faibles services que mon cœur et ma foi peuvent rendre en ce monde.