Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 2.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Je suis maintenant avec mes enfants dans la chère vallée Noire.

J’ai vu madame Liszt la veille de mon départ de Paris. Elle se portait bien et je l’ai embrassée pour son fils et pour moi. J’ai vu une fois Emmanuel, qui m’a chargée de le rappeler à votre amitié et qui m’a questionnée avec intérêt sur votre compte. On dit que notre cousin Heine s’est pétrifié en contemplation aux pieds de la princesse Belgiojoso. Sosthènes[1] est mort, ou il s’est reconnu dans un passage de la lettre imprimée, car je ne l’ai pas revu depuis ce temps-là.

Moi, je me porte bien, je suis bête comme une oie. Je dors douze heures, je ne fais rien du tout que coller des devants de cheminée, encadrer des images, collectionner des papillons, éreinter mon cheval, fumer mon narghilé, conter des contes à Solange, écouter du fond d’un nuage de tabac, à travers une croûte opaque d’imbécillité et de béatitude, les pitoyables discours facétieux ou politiques de mes douze amis, tous plus bêtes que moi. De temps en temps, je me lève dans un accès de colère républicaine ; mais je m’aperçois que cela ne sert à rien, et je me replonge dans mon fauteuil sans avoir rien dit.

Au fond, je ne suis pas gaie. Peut-on l’être, tout à fait, avec sa raison ? Non. La gaieté n’est qu’un excitant, comme la pipe et le café. L’être qui en use n’en est ni plus fort ni plus brillant. Tout mon désir est de

  1. Sosthènes de la Rochefoucauld.