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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

France un jour, si la vanité, qui tue tous nos poètes bourgeois, n’approche pas de votre noble cœur, si vous gardez ce précieux trésor d’amour, de fierté et de bonté qui vous donne le génie.

On s’efforcera de vous corrompre, n’en doutez pas ; on vous fera des présents, on voudra vous pensionner, vous décorer peut-être, comme on l’a offert à un ouvrier écrivain de mes amis, qui a eu la prudence de deviner et de refuser. Le ministre de l’instruction publique, qui s’y connaît bien[1], a déjà flairé en vous le vrai souffle, la redoutable puissance du poète. Si vous n’eussiez chanté que la mer et Désirée, la nature et l’amour, il ne vous eût pas envoyé une bibliothèque. Mais l’Hiver aux riches, la Méditation sur les toits, et d’autres élans sublimes de votre âme généreuse, lui ont fait ouvrir l’oreille. « Enchaînons-le par la louange et les bienfaits, s’est-il dit, afin qu’il ne chante plus que la vague et sa maîtresse. »

Prenez donc garde, noble enfant du peuple ! vous avez une mission plus grande peut-être que vous ne croyez. Résistez, souffrez ; subissez la misère, l’obscurité, s’il le faut, plutôt que d’abandonner la cause sacrée de vos frères. C’est la cause de l’humanité, c’est le salut de l’avenir, auquel Dieu vous a ordonné de travailler, en vous donnant une si forte et si brûlante intelligence…

Mais non ! le fils du riche est de nature corruptible ;

  1. M. Villemain.