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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

par conséquent de l’avenir et du passé, viens un peu te mettre à l’œuvre avec nous, tu verras que tu n’as guère connu les masses jusqu’ici. Tu les verras pleines d’ardeur et de trouble, animées, pour la plupart, de ces bons et grands sentiments sans lesquels ni Leroux, ni toi, ni moi ne les aurions (puisque rien n’est isolé dans l’ordre moral ou physique de l’humanité). Mais aussi tu verras d’énormes obstacles, de coupables résistances, des intérêts obstinés et égoïstes, et ce qui, dans ces masses, domine les unes et les autres, un vague inconcevable dans la pensée et dans les croyances ; une incertitude effrayante, mille fantaisies, mille rêves contradictoires ; tous les bons voulant le bien, et à peine trois dans chaque million d’hommes étant d’accord sur un même point, parce que, s’il y a partout, comme tu le remarques fort bien, l’instinct du vrai et du juste, nulle part cet instinct n’est arrivé à l’état de connaissance et de certitude. Et comment cela serait-il possible quand l’histoire offre un chaos où tous les hommes, jusqu’ici, se sont perdus, avant d’y trouver la notion profondément politique, philosophique et religieuse du progrès indéfini ? notion que tous les esprits un peu conséquents de ce siècle ont enfin adoptée sans restriction, même ceux qu’elle contrarie dans leurs intérêts présents.

De nombreux et admirables travaux, des conclusions émanées de plusieurs points de vue opposés en apparence, mais se rencontrant sur le principal, ont fait passer cette notion dans l’âme humaine, et tu l’as re-