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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

pour moi, sur cette longue séparation qui s’est faite entre nous. Il est si utile pour l’âme et si bienfaisant pour le cœur de vivre sous l’égide de vrais amis ! Et celui-là était un des meilleurs, un de ceux que j’estimais le plus haut et sur lequel je pouvais le plus compter ! Je le retrouverai, voilà ce qui me soutient ; je me suis endormie hier soir tout en pleurs et m’entretenant avec lui aussi intimement que s’il était là.

Vous viendrez me voir, n’est-ce pas, ma chérie ? Il va faire si beau à Nohant. Nos provinces du Nord sont réellement si belles après qu’on a vu cette aride et poudreuse Provence, que je me figure à présent que j’habite un Éden, et je vous y convie comme si vous deviez en être aussi enchantée que moi. Mais, au fond, je sais bien que vous y viendrez pour moi, et pour vivre avec un être qui vous aime, et qui, en fait de femmes, n’estime et n’aime complètement que vous.

Je vous fâche peut-être ; car vous croyez à la grandeur des femmes et vous les tenez pour meilleures que les hommes. Moi, ce n’est pas mon avis. Ayant été dégradées, il est impossible qu’elles n’aient pas pris les mœurs des esclaves, et il faudra encore plus de temps pour les en relever, qu’il n’en faudra aux hommes pour se relever eux-mêmes. Quand j’y songe, moi aussi, j’ai le spleen ; mais je ne veux pas trop vivre dans le temps présent. Dieu a mis autour de nous, en attendant que nous ne fassions tous qu’une seule famille, des familles partielles, bien imparfaites et bien mal organisées encore, mais dont les douceurs