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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Tu vas donc chez la reine ? c’est fort bien, tu es encore trop jeune pour que cela tire à conséquence ; mais, à mesure que tu grandiras, tu réfléchiras aux conséquences des liaisons avec les aristocrates. Je crois bien que tu n’es pas très lié avec Sa Majesté et que tu n’es invité que comme faisant partie de la classe de Montpensier. Mais, si tu avais dix ans de plus, tes opinions te défendraient d’accepter ces invitations.

Dans aucun cas un homme ne doit dissimuler, pour avoir les faveurs de la puissance, et les amusements que Montpensier t’offre sont déjà des faveurs. Songes-y ! Heureusement elles ne t’engagent à rien ; mais, s’il arrivait qu’on te fît, devant lui, quelque question sur tes opinions, tu répondrais, j’espère, comme il convient à un enfant, que tu ne peux pas en avoir encore ; tu ajouterais, j’en suis sûre, comme il convient à un homme, que tu es républicain de race et de nature ; c’est-à-dire qu’on t’a enseigné déjà à désirer l’égalité, et que ton cœur se sent disposé à ne croire qu’à cette justice-là. La crainte de mécontenter le prince ne t’arrêterait pas, je pense. Si, pour un dîner ou un bal, tu étais capable de le flatter, ou seulement si tu craignais de lui déplaire par ta franchise, ce serait déjà une grande lâcheté.

Il ne faut pourtant jamais d’arrogance déplacée. Si tu allais dire, devant cet enfant, du mal de son père, ce serait un espèce de crime. Mais, si, pour être bien vu de lui, tu lui en disais du bien, lorsque tu sais qu’il n’y a que du mal à en dire, tu serais capable de