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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Parmi tous ces hommes qui défendent la propriété avec des fusils et des baïonnettes, il y a plus de bêtes que de méchants. Chez la plupart, c’est le résultat d’une éducation antilibérale. Leurs parents et leurs maîtres d’école leur ont dit, en leur apprenant à lire, que le meilleur état de choses était celui qui conservait à chacun sa propriété. Ils appellent révolutionnaires, brigands et assassins ceux qui donnent leur vie pour la cause du peuple.

C’est parce que je ne veux pas que tu sois un de ces hommes, sans âme ou sans raison, que je t’écris en particulier et en secret, ce que je pense de tout cela. Réfléchis et dis-moi si cela se présente de même à ton esprit et à ton cœur. Dis-moi si tu trouves juste cette manière de partager inégalement les produits de la terre, les fruits, les grains, les troupeaux, les matériaux de toute espèce, et l’or (ce métal qui représente toutes les jouissances, parce qu’un petit fragment se prend en échange de tous les autres biens). Dis-moi, en un mot, si la répartition des dons de la création est bien faite, lorsque celui-ci a une part énorme, cet autre une moindre, un troisième presque rien, un quatrième rien du tout !

Il me semble que la terre appartient à Dieu, qui l’a faite, et qui l’a confiée aux hommes pour qu’elle leur servît d’éternel asile. Mais il ne peut pas être dans ses desseins que les uns y crèvent d’indigestion et que les autres y meurent de faim. Tout ce qu’on pourra dire là-dessus ne m’empêchera pas d’être triste et en