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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Mais voyez ! Il a eu l’heureuse idée de vouloir me tuer un soir qu’il était ivre. En attendant que cette benoîte fantaisie de meurtre conjugal me rende mon pays, ma vieille maison et cinq ou six champs de blé qui me nourriront quand mes longues veilles m’auront jetée dans l’idiotisme, je fais le Sixte-Quint. Mon cheval est rentré sous le hangar et on n’entend pas voler une mouche autour de mon cloître désert.

Le jardinier et sa femme, qui sont mes factotums, m’ont suppliée de ne pas les faire demeurer dans la maison. J’ai voulu en savoir le motif. Enfin le mari, baissant les yeux d’un air modeste, m’a dit : « C’est que madame a une tête si laide, que ma femme, étant enceinte, pourrait être malade de peur. » Or c’est de la tête de mort qui est sur ma table, dont il voulait parler (du moins à ce qu’il m’a juré ensuite) ; car je trouvai la plaisanterie de fort mauvais goût et je me fâchai. — Ensuite j’ai songé que cette tête si laide ferait grand effet. J’ai permis à mon jardinier de s’éloigner et de garder la pensée que cette tête était un signe de pénitence et de dévotion.

Ainsi, à l’heure qu’il est, à une lieue d’ici, quatre mille bêtes me croient à genoux dans le sac et dans la cendre, pleurant mes péchés comme Madeleine. Le réveil sera terrible. Le lendemain de ma victoire, je jette ma béquille, je passe au galop de mon cheval aux quatre coins de la ville. Si vous entendez dire que je suis convertie à la raison, à la morale publique, à l’amour des lois d’exception, à Louis-Philippe, le père