Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 1.djvu/290

Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Eh bien, oui, mon ami, je t’aime sincèrement et de tout mon cœur. Je m’inquiète fort peu de savoir si ton caractère est bon ou mauvais, aimable ou maussade. J’accepte tous les caractères tels qu’ils sont, parce que je ne crois guère qu’il soit au pouvoir de l’homme de refaire son tempérament, de faire dominer le système nerveux sur le sanguin, ou le bilieux sur le lymphatique. Je crois que notre manière d’être dans l’habitude de la vie tient essentiellement à notre organisation physique, et je ne ferai un crime à personne d’être semblable à moi, ou différent de moi. Ce dont je m’occupe, c’est du fond des pensées et des sentiments sérieux, c’est ce qu’on appelle le cœur ; quand il n’y en a pas chez un homme, quoique cela ne soit guère sa faute non plus, je m’éloigne de lui, parce que, après tout, j’en ai un, moi ! N’ayant rien à débrouiller avec les caractères, dans ma vie d’indépendance et d’isolement social, je n’ai à traiter que de conscience à conscience et de cœur à cœur. J’ai toujours connu le tien bon et sincère ; je l’ai cru peut-être quelquefois moins chaud qu’il ne l’est, et c’est un tort que j’ai eu envers tous mes amis.

Cela est venu à la suite de grands chagrins qui m’avaient réduite moralement à un état maladif. Il faut me le pardonner ; car je n’en ai point parlé et j’en ai cruellement souffert. Il n’y avait aucune raison qui ne vînt de moi et non des autres. Ainsi j’aurais été folle de me plaindre.

Il ne faut pas me reprocher d’avoir gardé le silence ;