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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND


XCI

À M. FRANÇOIS ROLLINAT, À CHÂTEAUROUX


Nohant, 20 août 1832.


Mon vieux,

J’ai travaillé comme un cheval, et je me sens si aise d’être débarrassée de ma journée, que, loin de faire du spleen, je me plonge avec délices dans cette béate stupidité qu’il m’est enfin permis de goûter. Ne t’attends donc pas à me voir répondre à toutes les choses bonnes et excellentes que tu me dis. J’attendrai pour cela un jour où j’aurai de l’âme, un jour où je serai Otello. Pour aujourd’hui, je suis chien. Je dis que la vie n’est bonne qu’à gaspiller. J’ai mis tout ce que j’avais de cœur et d’énergie sur des feuilles de papier Weynen. Mon âme est sous presse, mes facultés sont dans la main du prote. Infâme métier ! Les jours où je le fais, il ne me reste plus rien le soir. Ce sont autant de jours où il ne m’est pas permis de vivre pour mon compte. Après tout, c’est peut-être un bonheur ; car, livrée à moi-même, je vivrais trop !

Dans deux jours, j’aurai fini Valentine, ou je serai morte. Veux-tu que j’aille te voir la semaine prochaine ? Fixe le jour. Si tu veux, nous irons à Valen-