Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 1.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Mon mari me mande que vous êtes maigre et au régime. Êtes-vous réellement bien guéri, mon cher enfant ? Soignez-vous, ne couchez pas sans feu comme vous le faisiez par négligence l’année dernière, et ayez toujours une tisane rafraîchissante dans votre chambre. Moi, le grand médecin de Nohant, je vous traiterais ex professo. Que deviennent donc tous les malades du village, depuis que je ne suis plus là pour les guérir ou pour les tuer ?

Je vous dirai en confidence avoir eu ici l’occasion d’exercer mes talents ; auprès de qui ? je vous le donne en cent ! Auprès de madame P…, mon implacable ennemie. La malheureuse femme vient de faire un triste voyage à Paris, pour enterrer un fils de vingt ans. Elle était mourante de douleur lorsque le hasard m’a fait connaître sa situation. J’ai couru à elle sur-le-champ, je l’ai trouvée entourée de jeunes gens qui pleuraient leur camarade et s’affligeaient de l’absence d’une femme auprès de la mère désolée. J’ai passé la nuit sur une chaise auprès d’elle. Une triste nuit ! Mais, lorsqu’elle m’a reconnue et qu’abjurant son aversion, elle m’a remerciée avec élan, j’ai éprouvé combien la vengeance noble, celle qui consiste à rendre le bien pour le mal, est un sentiment pur et doux. Nous nous sommes quittées très réconciliées. Je parierais bien qu’à la Châtre et à Nohant surtout, ma conduite passerait pour un trait de folie. N’en parlez pas ; mais, si on en parle et si l’on m’accuse, laissez dire.