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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

pû me porter plus tôt à la résolution que j’ai prise, n’étaient pas assez fortes pour me décider, avant les nouveaux événements qui viennent de se produire. Personne ne s’est aperçu de rien. Il n’y a pas eu de bruit. J’ai simplement trouvé un paquet à mon adresse, en cherchant quelque chose dans le secrétaire de mon mari. Ce paquet avait un air solennel qui m’a frappée. On y lisait : Ne l’ouvrez qu’après ma mort.

Je n’ai pas eu la patience d’attendre que je fusse veuve. Ce n’est pas avec une tournure de santé comme la mienne qu’on doit compter survivre à quelqu’un. D’ailleurs, j’ai supposé que mon mari était mort et j’ai été bien aise de voir ce qu’il pensait de moi durant sa vie. Le paquet m’étant adressé, j’avais le droit de l’ouvrir sans indiscrétion, et, mon mari se portant fort bien, je pouvais lire son testament de sang-froid.

Vive Dieu ! quel testament ! Des malédictions, et c’est tout ! Il avait rassemblé là tous ses mouvements d’humeur et de colère contre moi, toutes ses réflexions sur ma perversité, tous ses sentiments de mépris pour mon caractère. Et il me laissait cela comme un gage de sa tendresse ! Je croyais rêver, moi qui, jusqu’ici, fermais les yeux et ne voulais pas voir que j’étais méprisée. Cette lecture m’a enfin tirée de mon sommeil. Je me suis dit que, vivre avec un homme qui n’a pour sa femme ni estime ni confiance, ce serait vouloir rendre la vie à un mort. Mon parti a été pris et, j’ose le dire,