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voyez, nous sommes bien ici, et c’est toujours un regret quand nous y finissons notre saison d’été, c’est toujours avec plaisir que nous y refaisons notre installation aux premiers beaux jours. La chasse est bonne, le gibier ne manque pas. Monseigneur l’ours, quand il s’aventure de notre côté, est bien reçu au garde-manger. Les loups nous ont un peu tourmentés au commencement ; mais ils ont eu leur compte et se le tiennent pour dit. Notre rencluse est redevenue meilleure qu’elle n’avait jamais été. J’ai fait de bonnes affaires avec mes vaches grasses, que je vais vendre en pays de plaine chaque automne pour en racheter de maigres au printemps, si bien que j’ai pu doubler mon terrain en achetant le morceau d’à côté. Il était à l’abandon, je ne l’ai pas payé cher. À présent il vaut autant que l’autre, et l’an qui vient je doublerai mon troupeau, c’est-à-dire mon capital de roulement.

Voilà mon histoire, mon cher hôte, dit Miquelon en terminant. Si elle vous a ennuyé, je vous en demande pardon. J’ai été un peu intimidé, d’abord par la crainte de n’être pas pris au sérieux, et ensuite par le sérieux avec lequel vous m’écoutiez.

— Mon cher Miquel, lui répondis-je, savez-vous à quoi je songeais en supputant dans mon esprit le nombre de vos coups de masse et de vos brouettées de pierres ? D’abord je regrettais qu’un homme de votre valeur n’eût pas été appelé par la destinée à exercer sa persévérante volonté sur un plus vaste champ d’action, — et puis je me suis dit que, quel que fût le théâtre, nous étions tous des casseurs de