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mais elle ouvrait ses yeux bleus et courait comme une gelinotte dans les rochers, ivre d’une joie qu’elle sentait et montrait sans pouvoir l’expliquer.

J’avais préparé un petit goûter de fraises avec la meilleure crème du père Bradat. Nous mangeâmes ensemble sur les ruines de notre maison. Nous étions tous attendris, tristes et joyeux en même temps. Ma mère me quitta sans me rien promettre, mais en m’embrassant beaucoup et sans pouvoir se décider à me blâmer. Je travaillai donc seul jusqu’à la fin de la saison. Plus ma tâche avançait, plus je m’assurais de la difficulté que je trouverais à transporter cette montagne de débris. Je travaillais d’autant plus. Je ne descendais plus aux cabanes qu’un instant le dimanche. Puisque j’avais une espèce de logement, je m’y tenais, et je mettais à profit les soirées pour lire, écrire et compter. J’avais fait, en fouillant les décombres, une découverte précieuse ; j’avais retrouvé intact un vieux coffre qui contenait divers outils, quelques ustensiles de ménage et les livres tout dépareillés de mon père. Je les lus et relus avec un grand plaisir, ne me dépitant pas quand ils me laissaient au milieu d’une aventure, que je continuais à ma fantaisie. Ils étaient pleins d’exploits merveilleux qui me montaient la tête et enflammaient mon courage. Je ne m’ennuyais point seul. J’apprenais à calculer par chiffres l’étendue et la durée de mon travail. Je vis que j’en pourrais venir à bout par moi-même en plusieurs années, et, quoi qu’on pût dire, je m’y acharnai. Le géant était si bien émietté qu’il n’essayait plus de rassembler ses os