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mon ennemi de plus belle. J’obtins de ma mère la promesse de me donner cent francs encore quand j’aurais dépensé ce que j’avais en réserve, si mon travail, vérifié, méritait d’être encouragé ; pour se prononcer à cet égard, elle s’engageait à venir le voir dans le courant de la belle saison.

J’avais embauché à Lourdes deux gars de mon âge, qui, m’ayant promis de me rejoindre à Pierrefitte, s’y trouvèrent en effet au jour dit. C’était de bons compagnons, aimant le travail et point vicieux. Tout alla bien au commencement. Ceux-là n’avaient point peur du géant Yéous et ne se gênaient pas pour lui briser les côtes et lui élargir la mâchoire. Nous nous construisîmes une cabane plus grande et plus solide, l’hiver ayant détruit celle que j’avais, et, comme le père Bradât allait toutes les semaines à la provision dans les vallées, nous le chargeâmes d’acheter et de rapporter la nôtre sur son âne.

Tant qu’il s’agit de faire sauter les roches, mes compagnons furent gais ; mais, quand il fallut charger et mener la brouette, l’ennui les prit. Ils étaient de la plaine, la montagne les rendait tristes, et je ne pouvais plus les distraire de l’ennui des soirées et du bruit agaçant des cascades. Ce que je trouvais si beau, ils le trouvaient triste à la longue, et un beau matin je vis que la peur les avait pris. La peur de quoi ? Il ne voulurent pas le dire. J’avais peut-être fait l’imprudence de trop parler par moments de ma haine pour ce rocher, et, bien que je n’eusse rien raconté de ses apparitions nocturnes, auxquelles souvent j’assistais encore en silence pendant que les