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— Vous manquez de raison, je ne pourrais pas seulement soulever un de vos doigts ; mais je vous tourmenterai si bien…

— Ne peux-tu me laisser tranquille, petit ? Je me trouve bien ici, j’y reste. Seulement je veux dormir sur le dos ; aide-moi.

Je lui allongeai un coup de pied dans les reins, et, en se retournant, il me montra sa grosse vilaine figure toute couverte d’un lichen blanchâtre. Le voyant ainsi à ma merci, je sentis se rallumer toute la haine que je lui portais, et ne pus résister au désir de lui plonger mon bâton dans la gueule. Il ne parut pas s’en apercevoir ; mais une petite voix imperceptible sortit de cette caverne qui lui servait de bouche, et, prêtant l’oreille, j’entendis que cette voix disait : — Oh ! le méchant garçon qui déchire ma toile et qui a manqué m’écraser !

— Qui es-tu ? dis-je en retirant mon bâton avec précaution et en appliquant mon oreille sur la bouche du géant.

— Je suis la petite araignée des mousses, répondit la voix. Depuis que j’existe, je demeure ici ; je travaille, je file, je chasse ; pourquoi me déranges-tu ?

— Va-t’en filer et chasser ailleurs, ma mie ; le monde est assez grand pour toi.

— Je pourrais t’en dire autant, reprit-elle. Pourquoi tourmenter ce rocher qui m’appartient ? N’y a-t-il pas place ailleurs pour ta personne ?

En ce moment, le géant, que je recommençais à chatouiller avec ma trique, éternua et chassa au loin