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point de testament ; il s’est fié à moi, me laissant libre d’agir comme je l’entendrais dans l’intérêt de ses enfants. Je veux que tu saches que nous possédons entre nous quatre environ trois mille francs. J’en ai fait deux parts égales, une pour moi et tes deux sœurs, et l’autre pour toi. — Cela n’est pas juste, lui répondis-je ; je n’ai droit qu’à un quart. — Il n’est pas question de droit, reprit-elle. Il s’agit de vos besoins, dont j’ai souci et dont je suis meilleur juge que vous. Mon travail est assuré. Les petites m’aideront, et nous nous tirerons très-bien d’affaire avec la petite réserve que nous gardons ; mais tu es un garçon, et c’est à toi de gagner ta vie honnêtement. Je ne compte pas te nourrir et t’entretenir, ce serait te pousser à la lâcheté et à la fainéantise. Avise à te faire un état ; je vais te donner cent francs pour que tu puisses chercher ton occupation et la bien choisir. Il sera donc très-juste que dans la suite, quand tu te seras tiré d’affaire sans notre aide, tu en sois dédommagé par une part plus grosse que celle de tes sœurs. Sache qu’à vingt et un ans tu peux revenir chercher ici quatorze cents francs. Si j’étais morte, tu trouverais la somme quand même, puisque je vais la placer en ton nom, et d’ailleurs dans ce temps-là tes sœurs, dont je sais le bon naturel, comprendront la chose et approuveront ce que j’aurai fait.

J’embrassai ma mère et mes sœurs en pleurant, et, mes meilleurs habits au bout d’un bâton sur l’épaule, mes cent francs en poche je partis, bien triste de quitter ma famille, mais résolu à faire mon devoir.