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sans connaître ni a ni b. Notre pauvre mère n’en savait pas plus que nous.

Nous parcourions la montagne pendant toute la saison des eaux. Nous allions à Bagnères de Bigorre, à Luchon, à Saint-Sauveur, à Cauterets, à Baréges, aux Eaux-Bonnes, partout où il y a des étrangers riches. L’hiver, nous nous rabattions sur Tarbes, Pau et les grandes vallées. À ce métier-là, recevant beaucoup et dépensant peu, car nous étions tous sobres, nous eûmes en peu d’années regagné plus que nous n’avions perdu. Alors ma mère, qui avait le cœur haut placé, essaya de persuader à mon père que nous n’avions plus le droit d’exploiter la charité publique, que j’étais d’âge à gagner ma vie, et que, quant à elle, elle se faisait fort, aidée de Maguelonne, d’entretenir le reste de la famille par son travail de blanchisseuse. Mon père ne l’écouta pas. Il avait pris goût à cette vie errante, non pas tant parce qu’elle était lucrative que parce qu’elle l’amusait et lui faisait oublier son infirmité. Je pensais comme ma mère ; mais nous dûmes céder, et cette vie durerait peut-être encore, si mon pauvre père n’eût pris une fluxion de poitrine dont il mourut en peu de jours. Ce fut pour nous tous un profond chagrin. Encore qu’il contrariât nos désirs, il était si bon, si respectable et si tendre que nous l’adorions.

Après ce malheur, nous revînmes à Pierrefitte, et ma mère, ayant refait là une petite installation, me prit à part et me dit : — Mon enfant, je te dois rendre compte de notre position. Ton père nous a laissé quelque chose. Les pauvres gens comme lui ne font