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des cris de désespoir. Je me retourne alors, l’écroulement s’est arrêté ; le géant Yéous n’est plus sur son contrefort de rochers, il s’est abattu sur notre maison et couvre de sa masse disloquée notre jardin et la plus grande partie de notre enclos. Alors ma mère : — Ton père ? où est ton père ?

— Mon père ? je ne sais pas.

— Malheur ! il est écrasé ! Reste là, garde les petites ; moi, je cours ! — Et ma pauvre mère de courir vers ces masses encore mal assises et menaçantes. Ne pas la suivre était bien impossible. Je range les enfans dans un gros repli du terrain, je leur défends de bouger et je cours aussi à travers l’éboulement, cherchant et appelant mon père. Je dois dire à l’honneur de ces deux filles que voilà qu’elles firent semblant de m’obéir, et qu’un moment après elles couraient, comme moi, dans les débris, la grande traînant la petite, cherchant et appelant comme elles pouvaient. De temps en temps, nous suspendions nos cris pour écouter ; cela dura bien une bonne heure ; enfin j’entends une faible plainte, je m’élance, et je trouve mon pauvre père étendu sous une masse et ne pouvant se dégager. Comment il n’avait pas été broyé entièrement, c’est un hasard peu ordinaire : la roche formait voûte au-dessus de sa tête et de son corps. Le choc lui avait brisé les os de la jambe et du bras droit, voilà pourquoi il ne pouvait se relever et sortir de là. Il avait fait tant d’efforts inutiles et douloureux qu’il était épuisé et qu’il s’évanouit en nous voyant. Nous parvînmes à le retirer. Ma mère était comme folle. Que devenir avec un